Colère dans les campagnes agricoles européennes
L’Union Éco du 16 janvier 2024
Paroles d’expert
Joseph Garnotel membre de l’Académie d’agriculture de France
Que se passe-t-il dans les campagnes agricoles européennes ? Alors que la nature est en repos, des manifestations paysannes agitent la Pologne, les Pays-Bas, la France et l’Allemagne, témoignant de la colère des agriculteurs voire de leur désarroi face à l’avenir. Ce sont les agriculteurs polonais qui ont donné le ton face à l’effondrement du prix des grains consécutif à l’agression de l’Ukraine. Les fermiers des Pays-Bas, d’habitude si placides, ont pris le relais. Ils s’insurgent contre la décision unilatérale de leur gouvernement qui veut réduire le cheptel des éleveurs de 30% afin de limiter les émissions de GES. Les agriculteurs français ne sont pas en reste. Avec les slogans « On marche sur la tête » ou « pas de transition sous pression », leurs syndicats demandent une « respiration normative » et dénoncent les incohérences entre les politiques nationales et européennes. Et voilà que le gros des fermiers allemands est maintenant sur la brèche. Du jamais vu dans un pays où le compromis politique est roi.
La colère des agriculteurs allemands a éclaté en décembre dernier lorsque le gouvernement a annoncé la suppression des allégements fiscaux sur le carburant agricole.
Des manifestations paysannes agitent la Pologne, les Pays-Bas, la France et l’Allemagne L’un des porte-parole du puissant syndicat agricole allemand exprime le dilemme qui peut être partagé par tous les agriculteurs européens : « Ces mesures ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. C’est le couronnement d’une série de restrictions imposées sur un secteur qualifié d’“importance systémique”, mais à qui on en demande toujours plus. Ces dernières mesures révèlent le manque d’empathie croissant du monde politique et un fossé grandissant entre les gens de la ville et les agriculteurs. En parlant de la fin de “subventions néfastes pour le climat”, on fait de nous des méchants alors que nous nous battons sur tous les fronts face au changement climatique, pour nous adapter aux sécheresses, à l’érosion. Il est injuste de faire des économies sur le dos d’un secteur qui agit sur autant de terrain et qui ne peut pas attirer de jeunes vu le faible niveau des rémunérations. »
On aurait tort de sous-estimer le mécontentement des agriculteurs européens ; le passé l’a montré. On aurait tort, aussi, de les taxer de rétrogrades. Il n’est qu’à voir sur le terrain les initiatives qu’ils prennent pour verdir leurs pratiques agricoles et fournir à leurs concitoyens une alimentation de qualité. Les transitions climatique et écologique restent d’une impérieuse urgence. Mais elles supposent, pour aboutir, que les agriculteurs soient étroitement associés à la définition des objectifs à atteindre et au chemin y menant. Prenons garde qu’aux prochaines élections au Parlement européen, le désespoir ne conduise des agriculteurs à voter pour des idées sans avenir.